J'ai lu pour vous le premier roman Solarpunk... et c'était nul
J'ai lu pour vous Songs from the Stars de Norman Spinrad une utopie solarpunk sirupeuse et indigeste. Publié en 1980, Songs from the Stars (traduit en français sous le titre Chants des étoiles) s’inscrit dans la veine la plus emblématique de Norman Spinrad : une science-fiction politique, lyrique et profondément idéologique. À travers une Terre post-apocalyptique ayant survécu à sa propre destruction technologique, Spinrad explore une question centrale, aujourd’hui plus actuelle que jamais : comment survivre sans reproduire les erreurs du passé ? L'histoire Le monde d’Aquaria, reconstruit après le Désastre nucléaire, repose sur une science dite « blanche », fondée sur le soleil, le vent, l’eau et le muscle. Une société frugale, quasi low-tech, qui rappelle les techniques de conservation sans électricité : sobriété énergétique, savoirs empiriques, dépendance aux cycles naturels, méfiance à l’égard des solutions industrielles lourdes. Ici, la résilience ne passe pas par la puissance, mais par la limitation volontaire. Aquaria conserve, recycle, temporise — exactement comme une communauté qui, privée d’électricité, redécouvre la fermentation, le séchage ou la cave fraîche. Face à cette civilisation prudente surgissent les Spatiaux, héritiers clandestins de la « science noire » : nucléaire, électronique, spatiale. Ils incarnent la tentation du retour à la flamme technologique, comme si, après une longue période de conservation lente et maîtrisée, l’humanité voulait soudain rallumer un four industriel mal éteint. Le conflit entre Clear Blue Lou, juge-prêtre de la Voie Bleue, et Sunshine Sue, reine charismatique de la communication orale, n’est pas tant un affrontement de personnages qu’un débat philosophique sur les seuils acceptables de technologie. Critique Spinrad excelle à montrer que la frontière entre science blanche et science noire est poreuse. Les réseaux de communication de Sue, pourtant présentés comme vertueux, relèvent déjà d’une technologie hybride, comparable à ces méthodes de conservation « grises » — mise à l’huile, fumage, fermentation — qui prolongent la durée de vie des aliments sans basculer dans l’ultra-transformation industrielle. Le roman suggère ainsi que la pureté low-tech est un mythe : toute société résiliente négocie en permanence avec ses outils. Cependant, cette richesse thématique est aussi la faiblesse du roman. Songs from the Stars souffre d’une densité discursive excessive. Les débats karmiques, les dialogues idéologiques et les digressions philosophiques ralentissent l’intrigue, à la manière d’un long processus de conservation mal maîtrisé où l’on aurait trop salé, trop séché, trop fumé. L’action se dilue, et le lecteur peut éprouver une certaine fatigue face à cette accumulation de discours, surtout dans la première moitié du roman. La bascule finale — l’accès aux messages extraterrestres, ces fameuses « chansons des étoiles » — élargit soudain le cadre. Le récit quitte la survie locale pour une perspective cosmique. Cette ouverture est fascinante, mais aussi déroutante : comme si, après avoir défendu une autonomie alimentaire de proximité, le roman proposait brusquement une mondialisation galactique des consciences. Certains y verront une transcendance magnifique ; d’autres, une contradiction avec l’éthique de sobriété patiemment construite. Malgré ses longueurs et son idéalisme parfois daté (libération par le sexe, les drogues et la communication totale), Songs from the Stars demeure un roman profondément pertinent. Il pose une question essentielle à toute société post-crise : faut-il conserver le monde tel qu’il est, ou risquer à nouveau l’innovation radicale ? Spinrad ne donne pas de réponse simple, et c’est là sa force. Comme les meilleures pratiques de conservation sans électricité, son roman invite à la prudence, à l’expérimentation mesurée et à l’humilité face aux limites humaines. En ce sens, Songs from the Stars n’est pas seulement un roman de science-fiction : c’est un manuel philosophique de survie civilisationnelle, parfois indigeste, souvent stimulant, et étrangement prophétique.