Fiche de paie : le grand casse-tête?
À l’occasion des 80 ans de la Sécurité sociale, le Club Landoy a publié le 30 septembre dernier avec Viavoice l’étude inédite “La fiche de paie, miroir social – Le grand flou du brut au net”. Réalisée auprès de 1 000 salariés, elle vise à évaluer leur compréhension de leur fiche de paie et donc de notre modèle social. -- Alors que la réforme des retraites a été suspendue et que le déficit galopant de l’Assurance maladie est au cœur des débats, le Club Landoy s’est penché sur la compréhension que les 20 millions de salariés français ont de leur fiche de paie, devenu un document-fleuve de 40 à 50 lignes, contre seulement cinq en 1945. La fiche de paie, livre de chevet (incompris) des Français La fiche de paie représente le “mensuel le plus lu des Français” selon Maxime Sbaihi, économiste et directeur stratégique du Club Landoy, puisqu’elle est consultée chaque mois, dès réception, par 74 % des actifs salariés. Maxime Sbaihi précise : “Plus le salarié est âgé, plus il travaille dans une grande entreprise, qui plus est dans le secteur privé, et plus il consulte sa fiche de paie.” À l’inverse, les jeunes de 18 à 24 ans sont ceux qui consultent le moins souvent leur fiche de paie : ils sont 63 % à la lire chaque mois. Lecteurs assidus ou non, les travailleurs français parcourent leur fiche de paie de façon particulièrement rapide : 83 % des salariés ne lisent que la seule ligne du salaire net ‒ soit le montant versé sur le compte bancaire ‒, loin devant le salaire brut (6 %), le montant de l’impôt prélevé à la source (5 %) ou les RTT et congés payés (3 %). 83 % des salariés ne lisent qu’une seule ligne, celle du salaire net ‒ soit le montant versé sur le compte bancaire Le grand flou des cotisations sociales Si 63 % des sondés se disent attachés au système de protection sociale actuel, “la logique, les mécanismes et les circuits de financement du modèle social sont largement méconnus”, constate Maxime Sbaihi. Seuls 13 % des salariés déclarent ainsi comprendre toutes les cotisations inscrites sur leur fiche de paie, tandis que 66 % n’en comprennent que quelques-unes. L’ordre de grandeur des cotisations n’est pas non plus clair pour la plupart des salariés, explique le directeur du Club Landoy : “Nous avons interrogé les sondés sur le classement des grandes familles de cotisations, et seuls 37 % d’entre eux placent correctement les retraites en première place. Ils ne sont que 19 % à citer la maladie en deuxième place et 19 % à mentionner les cotisations chômage en troisième place.” Enfin, seuls 41 % des salariés interrogés savent à quoi sert la Contribution sociale généralisée (CSG), prélevée sur leur salaire et affectée principalement au financement de la protection sociale. Il s’agit pourtant de la plus importante de toutes les contributions, dont une partie est consacrée au remboursement de la dette publique. Autre fait surprenant, 68 % des sondés pensent avoir accès à l’Assurance maladie grâce à leurs cotisations, démontrant ainsi leur méconnaissance du caractère universel de ce droit. Enfin, en plein débat sur la réforme des retraites, seuls 52 % des salariés ont conscience que leurs propres cotisations ne financent pas leur future pension de retraite, mais celle des retraités actuels. Maxime Sbaihi insiste sur l’importance de la pédagogie, dans un contexte où la pyramide des âges s’est inversée. “Il faut absolument travailler sur la compréhension du système de retraite par les Français – beaucoup d’entre eux réfléchissant à tort par capitalisation et non par répartition – pour accompagner les réformes.” Seuls 17 % des sondés choisissent, parmi quatre définitions du salaire brut proposées, celle qui est exacte Le salaire brut souvent mal interprété L’enquête du Club Landoy illustre combien les salariés comprennent mal la différence entre les cotisations salariales et patronales ‒ et donc entre leur salaire net et leur salaire brut. Cette distinction n’est pas claire pour 45 % des sondés, tandis que 48 % d’entre eux estiment que les cotisations patronales, qui sont inscrites sur leur fiche de paie, ne font pas partie de leur salaire. Par ailleurs, seuls 17 % des sondés choisissent, parmi quatre définitions du salaire brut proposées, celle qui est exacte : “Ce que l’employeur doit au salarié après avoir payé les cotisations patronales.” Alors que la question du financement de la protection sociale anime le débat public, seule une minorité tient compte de son poids sur le monde du travail. Et ce alors même que les cotisations patronales financent actuellement près de 40 % de notre modèle de protection sociale. À lire : Antoine Foucher : "Une baisse de 10 points des cotisations salariales en 5 ans, c’est 100 milliards rendus aux travailleurs" Maxime Sbaihi abonde en ce sens : “La mauvaise lecture du salaire brut invisibilise les cotisations patronales et salariales et éclipse notamment le co-financement des droits sociaux du salarié par son employeur.” Or, ce flou “fausse les négociations salariales basées sur le seul salaire brut et biaise la perception du salarié sur son coût total pour l’employeur”, explique le rapport de l’enquête. Ainsi, seuls 50 % des salariés ont conscience de percevoir sur leur compte en banque la moitié de ce qu’ils coûtent à l’employeur. Pour remédier à ce manque de culture économique et financière des français, le Club Landoy organisera à la Communale de Saint-Ouen l’événement “T’as vu ton net ?”, le 20 novembre prochain. Au-delà de ces incompréhensions, c’est bien le coût du travail et, par ricochet, le pouvoir d’achat des Français qui restent au cœur des préoccupations, alors que la différence entre salaires brut et net ne cesse de se creuser au fil des années. En pleine quête d’un accord politique pour boucler le budget de 2026, Sébastien Lecornu a, le 29 septembre dernier, exprimé aux responsables du “socle commun” sa volonté de proposer une diminution d’impôts “notamment en faveur du travail”. Le Premier ministre a dit envisager une baisse de la CSG, réclamée par le Parti socialiste. Caroline de Senneville