La solitude, c’est la liberté, Jacqueline Kelen
Jacqueline Kelen est diplômée de Lettres classiques. Pendant vingt ans elle a été productrice d’émissions à France Culture. Elle a publié une cinquantaine de livres consacrés au déchiffrement des grands mythes, aux figures et aux richesses de la vie intérieure. En 2002 elle a reçu le prix ALEF des libraires pour son essai L’Esprit de solitude, où elle célèbre « la voie solitaire, seule voie salutaire ». Puis ce sera le Prix de la liberté intérieure 2020 pour le livre Histoire de celui qui dépensa tout et ne perdit rien, éd. du Cerf. Ses pensées mettent en avant la recherche de vérité et la liberté individuelle. D’où est venu ce besoin d’écrire sur la solitude ? Tout bêtement parce que je suis une solitaire. Ça ne veut pas dire que je suis enfermée dans une caverne, que je ne vois personne, que je n’ai pas de rencontres. Mais, toute petite, il y a eu ce besoin en effet d’être seule. Je sentais un monde intérieur, la curiosité de découvrir la vie. C’est pour ça que j’ai appris à lire très vite. À 5 ans, je lisais couramment et j’ai dévoré des livres. Un livre était le plus beau cadeau de Noël pour moi. Sans intériorité, sans vie intérieure, sans le goût de l’étude, sans aussi la dimension contemplative qui n’est pas réservée aux religieux, la solitude est difficile à vivre. C’est pourquoi la plupart fuient cet état. Il me semblait aussi que la solitude était un rempart précieux contre tout ce qui est invasion du collectif, manipulation de tout genre, actions de l’extérieur (qu’elles soient bonnes ou pas bonnes), ainsi que les pressions familiales. De nos jours, même à l’école, de l’enfant qui est seul lors d’une récréation, on va dire qu’il est asocial ou qu’il a des problèmes relationnels. J’ai eu de la chance, mes parents me laissaient seule, tranquille, bien sûr avec un livre et un chat. Il y a ce côté aussi de toute société qui veut quand même que tous les citoyens fassent du vivre ensemble. Or, il y a un moment pour vivre ensemble et puis il y a un moment pour vivre seul, et pour moi, l’un ne l’emporte pas sur l’autre. Il est capital de préserver ça et même de défendre farouchement sa vie solitaire, sa solitude, parce que, pour moi, la solitude équivaut à la singularité. C’est ça le prix de la solitude. Ce que l’on oublie, c’est que l’être humain a un choix absolu ; il est unique et irremplaçable. Et toutes les manœuvres d’uniformité, de conformité, voire de clonage, sont effrayantes. Si la personne humaine est unique et irremplaçable, en effet, elle a tout avantage à se renforcer, se fortifier dans la solitude. La solitude, pour moi, c’est l’équivalant de la liberté. Qu’est-ce que la solitude pour vous ? Comment vous l’exprimeriez ? C’est la liberté. Ce n’est pas la liberté d’aller et venir. C’est le fait de penser par soi-même, de ne pas répéter. Je suis stupéfaite car, de plus en plus, en France, il n’y a plus d’esprit critique, plus d’humour. On gobe tout, on avale tout. Un être humain a des caprices, des désirs, des folies et puis de grandes aspirations. La globalisation de l’humain me paraît tout à fait redoutable par rapport à la liberté, c’est-à-dire la singularité. Cette singularité est une grosse responsabilité. La personne unique est irremplaçable, elle a son mot à dire. Elle peut dire des choses justes, des choses fausses, mais elle s’exprime, elle dit les choses. C’est le prix qu’elle paie d’ailleurs de sa solitude et de sa liberté, donc de penser par soi-même. Ça peut être très souvent à contre-courant. Mais, à l’époque où on est tous ensemble, c’est le collectif le plus important et je n’ai rien contre le collectif, mais je fais l’éloge, quand même, d’une voix solitaire. Alors que tout le monde veut guérir de tout, je publie quelque chose sur la divine blessure, sur la blessure qui est importante aussi. Que gagne-t-on avec la solitude ? À un moment, dans les journaux, on disait : « À quoi ça sert d’être professeur ? À quoi sert Dieu ? À quoi sert la beauté ? » Mais les dimensions les plus importantes, les plus précieuses de notre existence, sont inachetables et ne sont pas marchandables. L’amitié, l’amour, la justice, la beauté, le silence, l’âme ne peuvent pas s’acheter. La première chose qui me vient à l’idée, c’est une force intérieure qu’on appelle aussi – je trouve que c’est un beau mot – la fermeté d’âme. Ça renforce, parce qu’à la fois, il faut du courage et de la volonté (si on n’a pas cette nature personnelle plutôt solitaire presque sauvage) pour affronter une existence, du moins une journée, en disant « je suis seule, je suis seule à décider de ceci, de cela, et donc sans demander à autrui », ou sans être protégée par autrui, sans suivre autrui. Si cet article vous plaît, pensez à faire un don. Le fonctionnement du site a un coût. Il n’y a pas de publicité. Vous avez un bouton « don » sur le côté. Merci de votre participation quel que soit le montant. J’ai besoin d’énormément de silence pour étudier, pour écrire, pour aider aussi, pour regarder ce qui se passe dans le ciel ou autour de moi. La solitude, c’est cette force intérieure et cette liberté de penser qui fait qu’on est de moins en moins influençable ou manipulable à merci. Fermeté d’âme, c’est un beau mot. C’est un grand courage, ça ne veut pas dire qu’on a raison, mais on résiste à diverses pressions. Ce n’est pas une question de qualité ou de quantité. En démocratie, on dit que c’est la majorité. Mais, sur le plan moral ou sur les options profondes spirituelles, si vous êtes dans le vrai ou dans le juste, même s’il y a 1 000 personnes qui disent le contraire, eh bien, c’est vous qui êtes dans le vrai et le juste. Sur L’article La solitude, c’est la liberté, Jacqueline Kelen est apparu en premier sur Revue Reflets.