Un certain Julio Iglesias, latin lover universel
Un certain Julio Iglesias de Ignacio Peyró paraît aux éditions Le Cherche midi le 6 novembre 2025. L'écrivain et journaliste dresse le portrait d'un chanteur adulé internationalement, symbole de son époque. Julio Iglesias est assurément l’un des chanteurs les plus célèbres et l’égal, par le nombre d’albums vendus, de Madonna et d’Elton Jones. L’un des plus riches, de ce fait, aux multiples lieux de résidence, principalement à Miami en Floride d’où il tient son persistant bronzage. Mais brun, il l’était déjà, étant espagnol, Galicien par son père, Andalou par sa mère, véritablement un très bel homme doté d’un charisme et d’un sourire qui ont fait se pâmer ses fans sur la terre entière. Au terme de son existence – il accuse aujourd’hui 82 ans – et alors que la vieillesse a eu raison de ses inlassables tournées de par le monde, paraît une biographie du chanteur, sous la main d’Ignacio Peyró, diplomate, écrivain, traducteur et journaliste, qui entend analyser ce phénomène du monde des variétés et du disque, auquel il n’aura manqué que l’intérêt des sociologues, tant le cas de ce chanteur à succès, qui a vendu 300 millions de disques et a chanté sans discontinuer pendant cinquante ans, est archétypique et digne d’étude. C’est un cas de figure, nous dit cet essayiste et on lira ce livre non comme l’hagiographie d’un demi-dieu de la scène, mais comme la naissance d’un héros et l’analyse d’un fait de société, fructueuse et profitable à la lumière de l’actualité où, plus que jamais, semble-t-il, l’artiste, le chanteur, est partie prenante et agissante de tout ce que la politique mondiale offre de problèmes, de conflits, d’amours et de haines. Chez nous, Julio Iglesias aura côtoyé et Mitterrand et Sarkozy – qui le fit chevalier de la légion d’honneur en 2007 –, aux États-Unis il fut l’ami de Reagan et de Clinton, et en Espagne il apporta un appui non négligeable à José María Aznar tout en étant ami de Felipe González. La chanson et le succès le plaçaient au-dessus des partis. https://youtu.be/FWhwwSX3fEA?si=PM1XSth0eJ3vLF0b « Il a été l’Espagnol le plus connu du XXe siècle après Dalí et Picasso », n’hésite pas à affirmer Ignacio Peyró. Mais comment expliquer pareille fulgurance lorsqu’on connaît ce jeune homme qui, espoir du football espagnol, et goal au Real Madrid, son premier titre de gloire fut d’avoir bloqué dans ses filets rien de moins qu’un pénalty de Di Stefano, cette légende du ballon rond ? Celui qui allait bientôt s’imposer sur scène, géant de la chanson romantique et crooner adulé, avec son mètre quatre-vingt-sept, fut d’abord un grand malade. Un accident dramatique, après une nuit de fête qui lui fit perdre le contrôle de son véhicule, le cloua au lit pendant un an et demi, le laissant paralysé, puis longuement handicapé – il titubait sur scène à ses débuts, avec ses jambes flageolantes qui venaient à peine de quitter ses béquilles – et il ne dut la vie sauve qu’à l’attention et l’immense tendresse de son père, gynécologue de talent qui se battit contre la maladie et l’incurie médicale, et sut sauver son grand fils alors qu’il se mourait sous un traitement erroné. L’amour du père et du fils et de ce dernier pour son géniteur constituent assurément l’aspect le plus sympathique et touchant de ce livre : « Le docteur dépensa une fortune en intendance et équipements pour transformer sa chambre en clinique. C’est incroyable d’y penser : Julio bébé, le docteur Iglesias – affaire d’époque – n’aurait pour rien au monde changé ses langes, et voilà que son grand fiston convalescent et aux intestins paralysés, il devait tout lui retirer avec ses doigts. Certes, les médecins sont habitués à traiter avec la misère physiologique de la vie, glaires, urine, sang, mais on a beau être médecin, qui élève un fils pour en arriver là ? Dans un de ces moments de crise, Julito qui avait généralement un caractère ensoleillé, se laissa aller au désespoir : il craquait. Que peut faire un père ? Qu’y a-t-il dans les manuels de consolation ? Lui dire qu’il allait guérir, que tout irait bien, qu’il ne soit pas inquiet. » Mais le fils, plus tard, le lui rendit bien, car lorsque son père fut enlevé par un commando de l’ETA, Julio, interrompant tous ses contrats, consacra toute son activité et son argent à libérer son père de la geôle terroriste. Oui, Julio apparaît là terriblement sympathique. Mais d’ailleurs, qui pouvait résister à son charme : il fut quasi au sens propre une idole, et l’on a vu une multitude de jeunes filles japonaises entrer en transe en le voyant descendre de son avion à l’aéroport d’Haneda : « le chanteur connaîtrait au Japon son plus grand succès », écrit son biographe. C’est certes parce qu’il était cloué au lit que Julio Iglesias découvrit la musique : un de ses amis lui offrit une guitare pour passer le temps, si long, dans sa chambre d’égrotant. Ses doigts se promenèrent sur les cordes, les sons l’inspirèrent, il fredonna, puis l’on s’aperçut qu’il avait une voix aimable, qui allait devenir ce timbre velouté du crooner. Une fois rétabli, il sut tenter sa chance, d’abord au festival de Benidorm, en 1968, où il triompha, puis au concours international de l’Eurovision, en 1970, et sa carrière trouva là son point de départ : il avait vingt-sept ans, jolie voix et beau garçon : il s’imposa à Amsterdam avec ce premier tube « Gwendolyne », dédié à son premier cœur brisé, une Française, cette Gwendolyne de la riche famille des Bolloré. Et Julio connut dès le départ et l’amour et l’argent, jusqu’à devenir le mari de deux épouses, et le compagnon ou l’amant occasionnel de maints jolis cœurs, mais aussi le père de cinq enfants (ou plus si affinités) et le propriétaire d’Indian Creek, la plus belle demeure de Miami, et un homme d’affaires des plus avisés. Juste ces phrases qui disent ce qu’allait être sa vie de chanteur et d’homme d’affaires : « Pour compléter ce tableau idyllique, l’argent coulait à flot comme s’il avait ouvert un robinet et oublié de le fermer. À un certain moment il allait procéder à l’enregistrement conjoint de deux disques – l’un en français, l’autre en espagnol – et il ne manquait jamais de faire un saut en avion s’il devait assurer un concert. À ses moments libres, néanmoins, il ne pouvait moins faire que de mettre à la mode, avec ses carrelages et ses laques, Indian Creek destiné à être une résidence luxueuse : l’ancien marécage converti en une des premières urbanisations au monde, allait attirer le beau monde, de Gisele Bündchen à Ivanka Trump, qui acheta une parcelle à Julio, ou Jeff Bezos. Julio Iglesias et son style de vie – intimité, tranquillité, océan – avaient valeur de garantie. » https://youtu.be/2Hrn8IlRZLM?si=j83yz89bUjm7UN-V De sa vie amoureuse tumultueuse, on retiendra qu’il épousa en 1971 la belle Philippine Isabel Preysler, celle qu’on allait surnommer « la perle de Manille » dont il divorcera avec perte et fracas sept années plus tard, après lui avoir donné ses trois premiers enfants. Isabel Preysler vient de publier à Madrid ses mémoires, Mi verdadera historia (Espasa, 2025), où elle revient sur son premier amour et son volage de mari, ainsi que sur ses mariages successifs qui furent au nombre de trois, jusqu’à ce dernier compagnon, huit années durant, que fut l’illustre Mario Vargas Llosa, décédé cette année 2025. Il est piquant de constater qu’ayant commencé sa vie amoureuse avec un chanteur à succès, Isabel Preysler la poursuivit sur le tard avec un Prix Nobel de Littérature, auteur, au demeurant, de l’essai critique et savoureux : La Civilisation du spectacle (Gallimard, 2015). Mais au-delà du people, l’ouvrage d’Ignacio Peyró, dont on louera, outre l’impeccable documentation et le souci d’un portrait aussi attachant que sociologique de l’Espagne – celle du franquisme et celle de la movida –, le style incisif teinté d’ironie, vaut surtout par cette force empathique qui lie le biographe à son sujet et qui, au-delà de toute critique et de toute prévention, sait nous montrer, sous les paillettes et les masques, un homme, rien qu’un homme. Retenons sa conclusion : « Aucune vie n’est facile. Ruptures, désamours, morts, espoirs frustrés, malentendus, le temps qui passe sur tous comme un cataclysme. « J’ai été très porté sur la futilité», avoua Julio Iglesias à quelque moment. C’était à coup sûr une stratégie adaptative, mais sa futilité au final nous a rendus tous plus légers, comme une bonne excuse pour nous rendre sentimentaux quand on entend ces chansons dont nous percevons seulement des paroles éparses, ‘’weah’’, ‘’hey’’, ‘’me va’’, ‘’patates à la morue’’, comme une vérité simple et accessible. C’est le moins qu’on puisse faire que de lui en être reconnaissants. Et qu’on lui ait, pour le moins, offert dans cette vie la gloire de Paris, les plaisirs de Bel Air et la brise de Miami. » Mais il usera, in fine, de cette belle formule italienne – car Ignacio Peyró vit actuellement à Rome où il dirige l’Institut Cervantès – : È stato un uomo. Rien qu’un homme, un certain Julio Iglesias. Ignacio Peyró, Un certain Julio Iglesias. Traduit par Albert Bensoussan. Éditions Le Cherche-Midi, 348 p., 20 €. Parution : 6 novembre 2025